Situations - Comment détecter les mensonges

 

« On a le sentiment que la solution de cette affaire est à portée de main et on n'y parvient pas. » Georges Rimondi

Après des atermoiements répétés, et le risque imminent du classement de l'affaire pour prescription, il est illusoire de relancer la justice, sans de nouvelles charges. Voyant l'extinction de l'action publique arriver, les suspects de la première heure n'ont, quant à eux, aucune raison de changer une tactique qui a porté ses fruits. À moins de commettre une maladresse fatale, se croyant désormais tirés d'affaire.

Scène du crime

Dix ans après la découverte du cadavre de Magalie Part dans un bois de Vulbens, en Haute-Savoie, des regards inquisiteurs se portent à nouveau sur le mari et le beau père de la victime. Selon le droit français la prescription intervient dix ans après le crime, si aucune procédure n’a été entamée contre son auteur. Le temps presse.
Découvrir le coupable du crime de Magalie, et réparer les dysfonctionnements d'une enquête apparemment bâclée, nécessite cependant de nouveaux éléments.

Le mardi 27 mars 2001, un promeneur découvre à proximité d'un chemin forestier, le corps partiellement calciné de Magalie Part. Tout le monde s'accorde à dire que la première phase d'une enquête criminelle est déterminante. Dans cette affaire, les investigateurs privilégient pourtant la piste du rôdeur, négligeant l'entourage direct de la victime.
Mariée depuis trois mois, Magalie ne semble pas connaître de difficultés conjugales. Pourtant quelques zones d'ombre existent. Geoffrey, son mari, a déjà eu maille à partir avec la justice pour une affaire de violence. Selon ses dires, il aurait lui-même été brutalisé durant son enfance par son père alcoolique. Contre toute attente, le père est cependant toujours très présent dans la vie de son fils. Divers témoignages émanant des amis du couple, font état d'un rapport très ambigu entre le père de Geoffrey et sa belle fille. À l'occasion d'un anniversaire, elle aurait même reçu de la lingerie intime de sa part.

Le corps de Magalie gît sur le bas-côté d'un chemin carrossable. Un jeune paysan, à la recherche de morilles, le découvre à proximité de la ferme où il habite. Le corps partiellement calciné de la victime est totalement dénudé. Sur les lieux, ainsi qu'aux alentours, on ne relève pourtant aucune trace de brasier. Par contre, un couteau de cuisine est planté dans un arbre. Sur le sol, un mégot contient des traces ADN de la victime. Il s’avère pourtant que Magalie ne fume pas cette marque de cigarette. A 300 m du corps, dans un conteneur, on retrouve un jerrycan vide.
Tout porte à croire qu'il s'agit d'une mise en scène. Le cadavre de la victime a été transporté dans cet endroit après avoir été brûlé. Les agissements de l'assassin paraissent contradictoires.
Pourquoi brûler un corps sans prendre ensuite la peine de le dissimuler ?
Le mystère demeure.

Le coupable désigné

Les seuls faits nouveaux sont les interviews accordées en 2011 et 2013 par Geoffrey, respectivement à la Télévision Suisse Romande, dans l'émission « Zone d'Ombre » présentée par la journaliste et productrice Laurence Gemperlé et dans l'émission « Non élucidé » présentée par Arnaud Poivre d'Arvor et Jean-Marc Bloch. Nous avons retranscrit les propos de Geoffrey afin de les soumettre à une analyse scrupuleuse dans l'espoir de dénouer l'intrigue de ce crime sordide.
L'intégralité des émissions télévisées « Affaire Magalie » sont accessibles sur les sites Internet de la Télévision Suisse Romande et de France 2.

Dans un reportage précédent, réalisé en 2010 par la chaîne 13ème Rue, pour le magazine « Les Faits Karl Zéro », avec la participation de l'ancien gendarme devenu criminologue Jean-François Abgrall (qui s'était rendu célèbre en confondant le tueur en série Francis Heaulme), Geoffrey avait décliné l'invitation à se prononcer sur le meurtre de sa première femme.
À noter que le père de Geoffrey, placé en garde à vue avec son fils en 2006 dans le cadre de cette affaire, ne participa quant à lui à aucune de ces émissions.

Ornex, le domicile de Magalie, se trouve dans l'Ain à 30 kilomètres de Vulbens. On suppose que le tueur a transporté sa victime, non par la voie directe qui traverse Genève, mais en contournant la cité de Calvin afin d'éviter les éventuels contrôles frontaliers. Le jour précédent, le lundi 26 mars, Geoffrey part du domicile conjugal à 6 h 25. Il rentre le soir mais ne voit pas le petit chien de Magalie. Avant de quitter son domicile, Magalie avait fait part de son intention d'aller le promener et d'acheter des cigarettes.

Quelques considérations préliminaires sur la personnalité de Geoffrey s'imposent.
Indépendamment du fait de suspecter Geoffrey d'être l'auteur du crime, on ne peut s’empêcher d'éprouver un certain malaise en le voyant s'exprimer sur cette affaire.
Personnalité tourmentée et inquiétante, Geoffrey ne donne pas l'image de quelqu'un de raisonnable. On a le sentiment qu'il joue un rôle. Celui d'une victime. Dans les deux émissions où il témoigne, Geoffrey se plaint d'abord d'avoir été un enfant battu et ensuite du traitement que le public lui inflige, en le suspectant injustement du crime de Magalie.
Cette dernière forme de victimisation est accentuée dans l'émission de France 2 à travers l'intervention de son frère : «  Geoffrey a assez ramassé. Plus que moi. On a les mêmes parents. »

Geoffrey se lamente d'être seul face à une douleur indicible qui culmina dans une tentative de suicide. Pourtant Geoffrey s'est remarié et à quatre enfants. Si on en croit Deborah, sa seconde épouse qui intervient dans l'émission de France 2, l'affaire de Magalie empoissonne l'existence de toute la famille : «  C'est très dur en fait de vivre avec le meurtre de Magalie. C'est au quotidien. Plein de choses vous le rappellent. J'ai quatre petites filles qui en subissent les conséquences. Il faut que ça s’arrête. Il le faut. »

Goeffrey parle de ses erreurs de jeunesse, mais sans réelle implication, à tel point que l'on s'interroge sur sa bonne foi. Nous savons que Geoffrey a commis par le passé des actes de violence et qu'il a été emprisonné quelques jours à Champ-Dollon. Il parle simplement d'une « altercation » avec une ex, sans faire de lien avec la violence physique qui a sans doute justifié l’incarcération.
Tout ceci est du passé : « Le fait de la prison c'est vraiment quelque chose que je veux effacer. Parce que, je ne, je..., c'est, je ne suis pas comme ça du tout. On ne peut pas revenir en arrière, mais c'est comme çà. » Geoffrey a aussi fait des gardes à vue pour diverses bagarres, mais il précise : « Je suis pas comme ça. J'ai jamais voulu être comme ça. Ça fait pas de moi quelqu'un de méchant, de violent, d’impulsif. Voilà. »
Il explique également la manière dont il se révoltait, en faisant référence à son père : « Quand vous vous faites taper dessus sans aucune raison valable, c'est sûr qu'à la fin je lui en donnais des raisons. Au moins quand j'allais me coucher, je savais pourquoi j'avais pris une danse. »
En d'autres termes, subir une injustice (les coups de son père sans raison) est bien plus insupportable pour Geoffrey que de se comporter comme lui : «  A un moment donné j'ai fait comme lui. Il me tapait dessus. Je lui tapais dessus. »

Si nous nous en tenons à ses déclarations, nous pouvons admettre que tout cela est du passé. Toutefois nous constatons que Geoffrey commet toujours des violences, mais envers lui-même cette fois.

Rien n'exclut a priori que Geoffrey est étranger au meurtre de Magalie. Cette éventualité est d'autant plus plausible, qu'il prétend avoir sa petite idée sur l'identité du criminel. Mais il n'en dira pas plus. Cette façon de procéder est pour le moins déroutante. Il est conseillé de prendre les propos de Geoffrey avec des pincettes. Cette manière pathétique de se mettre en scène peut tout aussi bien être celle d'une personne innocente.

Analysons maintenant ses propos.

« Elle voulait me préparer le petit déjeuner. Elle avait l'intention de partir à pied avec son chien, un jeune chien. Et... euh... ouais, un lundi comme les autres, une semaine comme tout le monde quoi. »
«  Le soir je rentre, euh... J'ai deux chiens. J'en ai un qui est attaché dehors, et je n'ai pas le petit. Donc je m'inquiète pour la chienne, donc je me dis Magalie est au travail, elle a laissé la chienne dehors. Je vais à son travail, elle n'y est pas. Je l'appelle sur son portable, on ne me répond pas et c'est en revenant chez moi que je comprends qu'il y a quelque chose qui joue pas. L’appartement est comme on l'a quitté le matin. Les bols sont sur place, le peignoir est posé, comme ça. Donc, depuis le matin qu'elle est partie, elle est jamais revenue. »

Geoffrey est assez évasif et imprécis. Il dit que Magalie voulait lui préparer le déjeuner. Pourquoi ne dit-il pas que Magalie lui a préparé le déjeuner ? On ne sait donc pas si cette action a vraiment eu lieu. La suite n'est pas très claire non plus. Elle ne confirme aucunement que la promenade du chien et la préparation du déjeuner cadrent avec une routine habituelle, puisque Geoffrey présente ces deux activités comme des intentions et non des réalités. Il parle ensuite « d'une semaine comme tout le monde ». Alors que la semaine est à peine entamée. Certes, il use de ces termes pour montrer que rien ne laissait présager de la suite. Les mots de Geoffrey sont toutefois inappropriés, car sa volonté de comparer la situation de son couple à celle de monsieur et madame tout le monde ne restitue pas la réalité. Geoffrey et Magalie sont jeunes. Ils viennent de se marier. On se plaît à imaginer des conjoints qui ont le sentiment de partager une grande aventure et non pas un couple usé par la routine. Le plus surprenant dans les premiers mots de Geoffrey, c'est qu'il ne mentionne même pas le nom de sa femme. Il a un ton très impersonnel, comme s'il cherchait à se distancier des événements qui se sont déroulés.
Geoffrey s'inquiète ensuite de l'absence du chien de Magalie. Il devrait être logiquement là puisque Magalie le rapporte à leur domicile avant d'aller travailler.
Que fait alors Geoffrey ?
À ce stade, Geoffrey n'est soucieux que de la disparition de l'animal de compagnie. Ceci est d'autant plus curieux que lorsqu'il parle pour la première fois de ce chien, il dit « son chien » et non pas le « notre chien ».
Plutôt que de téléphoner à Magalie ; ce qui est le moyen le plus rapide de savoir où se trouve le chien, il se rend dans le commerce où travaille son épouse. Après avoir appris que Magalie ne s'est pas présentée à son travail, Geoffrey décide de lui téléphoner. Selon Geoffrey, c'est seulement lorsqu’il revient à son domicile qu'il réalise vraiment l'absence de Magalie.
Pour justifier son impression, il se dit surpris de voir que l’appartement est « comme on l'a quitté le matin ». C'est cependant la seconde fois qu'il fait cette constatation. En supposant bien entendu, qu'il a visité toutes les pièces de l’appartement, ce qu'il ne mentionnera d'ailleurs pas.
Geoffrey nous laisse entendre, sans vraiment le dire explicitement, qu'il a déjeuné avec sa femme et qu'ils ont quitté ensemble leur domicile.
Si tel n'était pas le cas, Geoffrey ne pourrait bien évidement pas affirmer que la situation est identique à celle qu'il a quittée le matin. Or cela ne va pas de soi, comme Geoffrey veut le laisser entendre.
Comme nous l'avons déjà souligné, Geoffrey présente les intentions de Magalie comme des probabilités et non des faits avérés. « Elle voulait me préparer le petit déjeuner. Elle avait l'intention de partir à pied avec son chien, un jeune chien. »
Ensuite, nous apprenons que Geoffrey commence, ce lundi 26 mars, son activité professionnelle à 6 h 25. Magalie, caissière dans un magasin de bricolage, débute son travail l'après-midi. Il faut donc que Magalie prenne la décision de se lever très tôt pour déjeuner avec Geoffrey ; alors qu'elle a la possibilité de récupérer du changement d'horaire de la nuit précédente (passage à l'heure d'été), qui lui a fait perdre une heure de sommeil. Tout ceci pour aller acheter des cigarettes (où à cette heure matinale ?) et promener son chien, alors qu'elle dispose de toute la matinée pour le faire.
Rien d'extraordinaire à cette décision, d'une jeune épouse pleine d'entrain, de se lever en même temps que son mari et de déjeuner avec lui, pourrait-on rétorquer.

Le ton de Geoffrey est rapide, mais émaillé de bafouillages. Sans pour autant laisser apparaître de temps morts, signes éventuels d'une mémoire rendue défaillante par le temps écoulé. Ce qui frappe c'est le ton impersonnel qu'il emploie pour raconter une histoire dramatique, qui le concerne en raison de ses liens intimes avec la victime.
Certes, dix ans après les faits, cela pourrait se justifier. Cependant, il utilise le prénom de Magalie plus tard dans son récit. Alors pourquoi ne pas l'utiliser où il était le plus proche d'elle, c'est-à-dire à leur domicile, ce fameux le lundi 26 mars, une journée fatidique dans la vie des époux. Cette distanciation est une attitude assez caractéristique des suspects qui dissimulent le déroulement exact des faits que les enquêteurs cherchent à établir. Mais peut-être que la suspicion qui s'abat sur un ex-taulard comme Geoffrey est injustifiée.
Par ailleurs, n'oublions pas que Geoffrey a déjà été soumis à des interrogatoires au sujet de son emploi du temps. La version qu'il livre à la télévision est probablement la copie conforme de ce qu'il a dit précédemment. Ses propos ne sont pas le fruit d'un témoignage recueilli sur le vif, ni un résultat improvisé. Alors, pourquoi bafouiller, jouer l'incrédule et restituer des émotions désormais absentes ?
À noter, qu'après le décès de Magalie, Geoffrey a vite refait sa vie. Il s'est remarié. Il a fondé une autre famille. Il a quatre enfants. Il a certainement eu d'autres chagrins, comme nous pouvons le comprendre à la suite de son récit.
Au sujet du crime de Magalie, il éprouve « le besoin de tourner la page ». C'est d'ailleurs la même raison qu'il avance pour justifier sa non-participation à une émission télévisée précédente. En répondant affirmativement à la présente invitation de la télévision suisse romande, Geoffrey a apparemment changé sa stratégie. Il est donc intéressant de voir quels sont ses arguments et sa manière de réagir face aux accusations « injustifiées » dont il se dit victime.

Les contradictions

Bien que le récit de Geoffrey ne varie pas beaucoup dans les deux émissions de télévision, il existe néanmoins des différences significatives.

La première est que Geoffrey fait intervenir sa femme ainsi que son frère pour parler de l'injustice qu'il subit en étant faussement accusé du crime de Magalie.

La seconde est que dans l'émission de 2013, les références de Geoffrey au sujet de sa tentative de suicide sont totalement absentes.

La troisième est que contrairement à son témoignage de 2011, Geoffrey n'est plus celui qui semble le plus souffrir de la situation. Il est bien plus serein maintenant. Il est assis détendu. Il est à manches courtes. Ses bras musclés sont remplis de tatouages. Il tripote ses lunettes de soleil durant toute l'émission.

Par contre le problème de Geoffrey est devenu une source de préoccupation continuelle pour sa seconde épouse au point qu'elle en pleure devant la caméra. En supposant que Geoffrey est innocent, on ne comprend pas pourquoi le meurtre de Magalie empoisonne à ce point la vie de sa femme ainsi que celle de leurs enfants.

La quatrième différence est que Geoffrey ne prétend à aucun moment de l'émission de 2013 qu'il a sa petite idée sur l'identité du coupable. À ce sujet, il est probable que de nombreux reproches lui auront été adressés pour ne pas avoir révélé le nom du coupable lors de l'émission de 2011.
C'est sans doute sur ce dernier point que son changement de version est le plus significatif. « Je crois à la vie. Des crimes impunis ça n'existe pas. La roue tournera. Je vous garantis que ce jour-là, que ce soit moi qui le trouve, que ce soit lui qui se dénonce. Je vous assure. Il y a un paquet de gens. Je veux des excuses. Je ne dis rien. Je supporte. J'encaisse. À un moment donné, il faudra quand même faire profil bas. »
Comment Geoffrey peut-il faire cohabiter en lui le fait de connaître le coupable avec la croyance de juger qu'aucun crime reste impuni ? Cette contradiction met en lumière toute l’ambiguïté de Geoffrey. Qui doit faire profil bas ? Le coupable qu'il connaît, mais qu'il ne veut pas dénoncer ?
N'est-ce pas la révélation de la double personnalité d'un individu qui, d'un côté se fait passer pour une victime, et qui de l'autre, s'accroche à des croyances irrationnelles ?

Reconstitution des faits

C'est l’histoire d'un mari qui rentre le soir et qui ne voit pas son épouse.
Quelle est alors sa réaction ?
Dans un premier temps, il n'a aucune raison de s'inquiéter. Il attend donc patiemment le retour de sa femme. Ensuite, il essaie de lui téléphoner. Ne pouvant pas l'atteindre, il contacte probablement son entourage. Finalement, il alerte la police, n'ayant obtenu aucune réponse lui permettant de la localiser.

Le déroulement est fort différent dans le cas de Geoffrey. Il remarque d'abord l'absence de la chienne de sa femme. Au premier abord cette réaction semble logique, puisque Magalie laisse le chien à son domicile, lorsqu'elle va travailler. Cependant Magalie pourrait très bien être rentrée avant lui et être ressortie en compagnie du chien.
Un simple coup de fil à Magalie pour vérifier cette éventualité semble la réaction normale. Contre toute attente, Geoffrey se rend au travail de Magalie.

Son attitude vis-à-vis des personnes concernées par la disparition de Magalie s'écarte également de la logique.
Eric, le père de Magalie, est alerté par Geoffrey à 19 h 30 le lundi, après que ce dernier ait appelé la gendarmerie. Eric téléphone à son ex-femme Evelyne, la mère de Magalie. En arrivant au domicile de sa fille, Evelyne ressent immédiatement une impression étrange : « J'ai senti qu'il y avait quelque chose de grave. »
Elle s’apprête à entrer dans la salle de bains quand Geoffrey et son père arrivent dans l'appartement. Geoffrey, lui dit, sans aucun ménagement « dégagez d'ici sale putain, vous n'avez rien à faire chez moi ».
Evelyne est convaincue que la réaction de Geoffrey a un rapport avec son intention d'aller à la salle de bains. Selon elle, Geoffrey et son père l'empêchent ainsi de découvrir des indices compromettants sur la disparition de sa fille.
Les relations d'Evelyne et de son beau-fils n'ont jamais été au beau fixe. Evelyne a de bonnes raisons de se faire haïr, puisqu'elle s'est opposée au mariage de sa fille avec Geoffrey.
Nous pourrions également penser que le témoignage de la mère de Magalie, au sujet du comportement de Geoffrey, n'est pas objectif en raison de l'inimitié qu'elle nourrit à son égard. Si elle est entrée dans le logement à l'aide des clés que lui avait remises sa fille, c'est probablement avec l'autorisation tacite de Geoffrey. De plus, il est très surprenant qu'elle n'ait pas pensé chercher sa fille dans toutes les pièces de l'appartement, avant l'arrivée de Geoffrey. À moins bien sûr que son arrivée coïncide à quelques secondes près avec celle du mari de sa fille.
D'autre part, si Evelyne est vraiment convaincue que des indices compromettants se trouvent dans la salle de bains pourquoi ne manifeste-t-elle pas la détermination d'y aller ?
D'autant plus que nous savons que Roméo et Farida, des amis du couple, sont eux aussi arrivés au domicile de Magalie.

De manière étonnante, Geoffrey se substitue à la police et passe la nuit à chercher Magalie en compagnie de Roméo. Non pas dans les endroits qu'elle a l'habitude de fréquenter. Non, il fouille dans les talus et les poubelles. « Moi, j'ai une crainte, donc je pense tout de suite à des coins sombres. Je cherche même son sac à main dans une poubelle ; ou je réveille un clochard parce que là, je suis très, très affolé. J'ai peur. »
Selon Eric, le père de Magalie qui suspecte fortement Geoffrey d'être le meurtrier de sa fille :  « Il n'y a que les morts que l'on cherche dans ces endroits. »
On se sait pas quel fin a fait le chien de Magalie. Aurait-il lui fini dans une poubelle ?

Jeudi 29 mars 2001, deux jours après la découverte du corps, Geoffrey est convoqué par la gendarmerie. « En quelques minutes, j'ai juste compris que je reverrai plus jamais ma femme, qu'elle était morte. J’avais tellement mal que je voulais effacer ça. Je me disais que ce n’était pas possible. Je me demande encore aujourd'hui comment j'ai fait, comment j'ai pu faire. Parce que vous avez envie de vous flinguer. C'est fini après. »

La réaction de Geoffrey en apprenant la mort de sa femme semble décousue et précipitée. Peut-être agit-il sous le coup de l'émotion. Il se dit d'ailleurs littéralement dévasté. Sa conduite est d'autant plus surprenante qu'aucune compassion envers le sort de sa femme, assassinée dans des conditions terribles, n'est palpable dans ses propos.
Sa propre douleur oblitère le calvaire de Magalie. Cet aspect égocentrique de la personnalité de Geoffrey s'exprime par cette constatation : « je me retrouve seul et abandonné. »
Il s'agit presque d'un reproche inconscient adressé à Magalie.

Dans d'autres circonstances, cet état de détresse débouchera sur une tentative de suicide, un véritable appel à l'aide comme le confiera Geoffrey lui-même.
Si la solitude représente le pire des maux, quels sont alors les moyens qu'il utilise afin de la prévenir ?
Est-il psychiquement équipé pour affronter la rupture, pour accepter la séparation ?
Serait-il prêt à commettre un acte irréparable pour prévenir une menace d'abandon ?

Magalie a subi un déferlement de violence inimaginable. Battue à mort, les os brisés par des coups à répétition. Impossible de dire avec précision la cause et l'heure exacte du décès. Elle a vraisemblablement succombé à une hémorragie interne.
Dans la nuit du lundi au mardi ?
Ou dans la nuit du dimanche, si la déposition de Geoffrey est fallacieuse.

Selon Maître Georges Rimondi, l'avocat d'Eric, le père de Magalie, trois phases différentes, avec leur lieu spécifique, composent le crime : l'assassinat, la crémation du corps et son transport dans la forêt.

Entre 13 h 03 et 13 h 06 la carte bancaire de Magalie a été utilisée, mais sans débit de son compte, le numéro de code bancaire introduit étant faux. D'autre part, on ne remarque aucune activité téléphonique le lundi date de sa disparition. Le dernier appel téléphonique de Magalie remonte au dimanche soir, où Magalie était en compagnie de son mari et de leurs amis Roméo et Farida.

Evelyne, parlant de la liaison de sa fille Magalie avec Geoffrey, fait cette constatation : « Dès qu'elle a rencontré Geoffrey, elle était sous son emprise. »

L’enfance perturbée de Geoffrey

Geoffey parle de son père qui le frappait sous l'emprise de l'alcool : « Ouais, je lui ai tenu tête. J'étais un peu son défouloir, on va dire. »
Geoffrey met en relation les coups reçus avec son attitude de défiance. Comme si ces violences pouvaient en quelque sorte se justifier. Tenir tête à l'autorité est dans l'esprit de Geoffrey un acte de défiance qui conduit à la punition.
Il n'est donc pas surprenant que Geoffrey ait cultivé par la suite ce côté provocateur. Ce qui lui a valu des ennuis avec la justice. Suite à des plaintes Geoffrey est placé par le juge des enfants dans un foyer :
« Je ne comprenais par pourquoi c’était moi qui étais enfermé. Avec le temps on m'a expliqué : c'était juste pour me protéger. J'étais devenu ce que l'on a fait de moi en fait. J'étais devenu exactement ce que l'on a fait de moi. Quelqu'un de méchant. Je ne voulais pas que l'on m'approche et je ne voulais pas approcher les autres. »
Geoffrey n'assume aucune responsabilité pour son comportement. Il se positionne comme la victime d'événements sur lesquels il n'a aucune prise. Geoffrey semble se réfugier derrière le souvenir écran d'un père abusif et n'élabore pas plus loin son histoire familiale. Le rapport avec sa mère est étrangement absent de son témoignage. Il y fait une seule fois allusion en affirmant qu'elle est la seule avec Magalie à le calmer lorsqu'il a les nerfs en boule.
Comment se comportait sa mère lorsque Geoffrey était battu par son père ?
Était-elle également victime des violences de son mari ?

Les modes de communication qui régnaient au sein de cette famille sont probablement plus complexes que la vision manichéenne de Geoffrey. Cet enfant pouvait avoir des raisons d'en vouloir à sa mère pour ne pas prévenir les violences paternelles, autant qu'il pouvait s'identifier à elle, lorsqu'elle était brimée. On comprend aisément qu'un individu soumis à ces difficultés est susceptible de développer des troubles du comportement.
Par la suite, Geoffrey a été violent avec une femme. Il fait même un court séjour à la prison genevoise de Champ-Dollon.
« Ouais, j'ai fait quelques jours pour une plainte d'une ex à moi. Ça c'est pas bien passé. Par contre là, cela m'a bien servi de leçon. Je pensais que j'étais au-dessus. En fait, j'étais vraiment en dessous de ce que j'ai vu là-bas, et j'ai eu très, très peur. »
Geoffrey relate un épisode peu glorieux de sa vie, sans aucun regret. Il n’explique pas ce qu'il veut dire par « pas bien passé ». La suite de son discours n'apporte aucun éclaircissement sur sa conscience. Au contraire, il semble minimiser son acte en se comparant à des détenus plus dangereux que lui. La constatation qu'il fait est la suivante : «  je me croyais un criminel pour avoir été mis en prison, mais en côtoyant d'autres prévenus condamnés, je me suis rendu compte que je n’avais finalement rien fait de grave. » Il élude sa culpabilité par un leitmotiv connu : « j'ai eu très, très peur. »
Si Geoffrey a eu aussi peur, est-ce parce qu'il est incapable de faire du mal à une mouche ?
Ou qu'il s'est rendu compte qu'il avait affaire en prison à des gros bras, prêts à en découdre avec d'autres hommes, contrairement à Geoffey, qui s'en était pris à une femme ?

La relation de Magalie avec son beau-père

Eric Bertrand, le père de Magalie, parle des habitudes étonnantes du beau-père de sa fille. Selon Farida une amie intime de Magalie, témoin de son mariage, il lui faisait couler des bains et il lui offrait des sous-vêtements. Eric, choqué par ces agissements qu'il juge déplacés « on n’offre pas de la lingerie à sa belle fille » confesse néanmoins que Magalie « était très cadeaux ».
Au sujet des sous-vêtements que son père aurait offert à son épouse, Geoffey est formel : « Je dis que c'est impossible. Je rigole. Je dis : mais on est où ? Je me dis : ils vont tout essayer ! C'est n'importe quoi. C'est du délire. »
Sur le prétendu comportement équivoque de son père, Geoffey avance notamment les arguments suivants lors de l'émission de 2013 : « Je veux pas y croire. Meg m'en aurait parlé. » et encore : « Connaissant mon caractère, il savait très bien que j'allais partir de zéro à cent. Donc c'était pas possible. Et puis Meg, la première, lui aurait mis une gifle. »
Jefferson le frère de Geoffey renchérit : « Cela n'a jamais dépassée les limites du beau-père et de la belle-fille.  Je connais très bien Magalie et encore mieux mon père.  »

L'emploi du temps du beau-père

Le père de Geoffrey, Patrick ne reste pas avec son fils le soir des recherches. Sa déposition comporte des incohérences. Il se trompe sur le temps de trajet depuis Ornex jusqu'à Genève qu'il évalue à 1 h 25 alors que 25 minutes suffisent. Il affirme ne pas connaître Vulbens située à moins de 8 km de son ancien logement à Collonges. Il nie avoir acheté des sous-vêtements à sa belle fille.
Geoffrey et Patrick sont placés en 2006 (le même jour) en garde à vue. Ils ne lâchent rien et ressortent libres en l'absence de preuves matérielles.
La position de Geoffrey est claire : «  On a essayé de me dire : vous vous êtes disputés. Elle a pris un mauvais coup, etc. Non, je ne peux pas, au bout d'une journée et demie, je ne peux pas accepter cela. Je ne peux pas supporter, euh, cela m'est intolérable d'entendre cela. Je ne peux pas supporter ça. »

Selon Jean-François Abgrall, ancien gendarme français devenu enquêteur privé et criminologue, qui avait confondu le tueur en série Francis Heaulme :
« Ce que l'auteur du crime nous donne à voir est peut-être différent de ce qu'il a voulu faire. Ce sont des choix absolument pas neutres. »
Pour Jean-François Abgrall, l'hypothèse de la mauvaise rencontre ne tient pas la route.
"Je la tue et je m'en vais" le scénario simple qui est absent du cas de Magalie.
Pour aller la brûler, il faut des moyens, du temps. On prend des risques, en plus on déplace le corps (c'est la théorie qui prévaut, car il n'y a pas de foyer de combustion à proximité de l'endroit où le corps a été découvert).
Depuis le domicile de la victime jusqu'au lieu où son corps a été retrouvé il y a 30 kilomètres, en zone frontalière.
La conclusion de Jean-François Abgral est alors la suivante :
« Un criminel identifiable qui a pris énormément de risques pour brouiller les pistes. »

Qu'est ce qu'on a voulu faire avec cette victime ?